Snuff de Chuck Palahniuk

Dans ce roman qui pourrait être interdit aux moins de 18 ans, l'inclassable Chuck Palahniuk emprunte les voies de la pornographie (qui, contrairement à celles du Seigneur, ne sont pas impénétrables) pour nous montrer les dérives de notre société et souligner l'importance des relations parents/enfants. Un texte court, provocant et réjouissant. 


 

(Chronique écrite le 10 juin 2020)

« Snuff : nom masculin singulier. Cinéma. Abréviation de "snuffmovie", film d'horreur dans lequel une victime est réellement torturée ou exécutée » [Définition du dictionnaire numérique Cordial]

Que fait un auteur qu’on dit sur le déclin quand il n’a plus rien à raconter ? Facile : il parle de sexe. Rien de plus courant que de céder aux sirènes de l’air du temps (entre récits gonzo, romances hardcore, ou porno soft à la Fifty Shades of Grey, le spectre est large) et de faire dans le commercial, le racoleur, le vicelard, pour essayer de rameuter le chaland et tenter de renouer avec son lustre d’antan.

On se dit alors que le résultat va forcément être décevant, et on en vient immédiatement à regretter les premiers romans de Palahniuk qui nous ont tellement séduits. Mais, naïf et, admettons-le, avec une faible lueur d'espoir, on finit tout de même par se laisser tenter, parce que Fight Club, quand même, et puis Survivant aussi, ou même Berceuse

Dans Snuff, Cassie Wright, ex-star de l’industrie du X, va tenter de battre le record du plus grand gang-bang de l’histoire : 600 hommes en une seule nuit de folie. C'est un nombre, quand même. Unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Simple. Efficace ?

Au premier abord, Snuff pourrait aisément passer pour un immonde roman pornographique. Je vous rassure, à la deuxième lecture : aussi. Seulement, c’est un petit peu plus profond que ça. Vous me direz que le terme est sans doute mal placé. Je vous répondrais que c’est ma chronique et que je mets les termes où je veux.

Le lecteur habitué à Palahniuk y retrouvera évidemment, avec un certain plaisir (solitaire ?), ce qu’il a toujours apprécié chez le Chuck : des phrases courtes. Minimalistes. Syncopées. Répétitives. Percutantes.

Et trash.

Toujours ce souci de choquer, de provoquer, de révulser le lecteur.

(On ne compte plus les évanouissements, malaises, haut-le-cœur, nausées lors de lectures en publique. Il paraît même qu'un lecteur se serait coupé le bout du doigt en tournant la page 47. Quel roman malsain).

Mais aussi un amour du détail historique, de l’anecdote technologique, du le-saviez-vous ? savoureux, développés avec une grande précision au sein des nombreux apartés qui parsèment le roman.

On pourrait s’arrêter là, et ce serait déjà pas mal.

La vérité vraie.

Mais en poussant la mauvaise foi à l'extrême, on peut également voir dans Snuff un roman sur la filiation (non non correcteur d’orthographe, je ne veux pas plutôt dire la fellation).

« Les chiens ne font pas des chats » dit souvent ma mémé.

Elle dit aussi « On sent toujours du pot qu’on a bouilli » ce qui, en vieille française, veut dire approximativement la même chose.

Donc, par le prisme de cette formidable orgie entre une porno queen et quelques six centaines de partenaires à pénis, Palahniuk va réussir à nous raconter au fond que notre destin d’être humain dépend toujours de nos parents, et que l’éducation reçue conditionnera notre comportement d'adulte. Certains des personnages parviendront-ils à dépasser cet héritage et à se transcender ? vous le saurez après une courte page de publicité.

Certes, rien de nouveau sous le soleil, d’autres ont déjà écrit ça beaucoup mieux que lui (et que moi en ce moment). Mais jamais avec ce style inimitable, subversif et jubilatoire.

Mention spéciale à la langue de Monsieur Claro, qui fait des merveilles de traduction pour le lecteur francophone. 

 

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