L'École Nationale Supérieure du Trou
Image par Méhari sur le forum Méhari Club de France
Pour l'automobiliste chevronné, il n'est pas rare de croiser des
panneaux « trous en formation » le long des routes départementales. Ce
qu'on sait moins par contre, c'est que ces panneaux signalent un lieu
d'exercice de la prestigieuse École Nationale Supérieure du Trou.
Situé dans les environs de la Souterraine, dans la Creuse – autant
dire : dans un trou paumé – l'établissement propose de nombreuses
formations en trous genres, permettant de devenir un véritable trou doté
d'un diplôme reconnu internationalement.
« Être trou ou ne pas être », telle est la devise qui s'affiche fièrement lorsqu'on franchit le portail de l'établissement.
Le directeur, un homme affable mais généralement très occupé, ayant
finalement découvert un trou dans son emploi du temps, a bien voulu nous
recevoir pour une visite des lieux.
Après des débuts
difficiles, c'est peu dire que le directeur de l'école des trous est
aujourd'hui un homme comblé. Depuis que son école a fait le trou sur ses
concurrents directs (l'École des nids-de-poules et Chaussées,
notamment), sa situation s'est grandement améliorée. Il a réussi à faire
son trou, en quelque sorte.
« Ici, on ne comble pas les
lacunes de nos élèves. Au contraire, on les encourage, même ! » me
dit-il en guise d'in-trou-duction, avec toute la bonne humeur qui le
caractérise.
Les présentations ainsi faites, la visite peut alors commencer.
Le Directeur m'entraîne d'abord vers le sous-sol du bâtiment principal.
On y distingue des élèves consciencieusement alignés le long d'un bar,
occupés à vider des verres d'alcool, tandis que d'autres, légèrement en
retrait, les observent patiemment.
- Ils s'entraînent à boire comme des trous, m'informe le directeur.
- Ah oui ! et les autres, autour, qui ne boivent pas ?
- Ah, ça, mais ce sont les futurs trous de mémoire. Ils ne se quittent jamais : l'un ne va pas sans l'autre !
Empruntant un escalier au fond du bar, nous revenons au
rez-de-chaussée. Là, dans une première pièce sur notre gauche se trouve
la formation "Arc-En-Ciel", dite aussi trou colors. Elle prépare à
différents avenirs hauts en couleurs, m'explique-t-il : trous noirs,
trous verts de Verdi, trous bleus de la personnalité...
- Et celui-là, qu'est ce qu'il fait ?
- Ça ? Mais c'est trou blanc !
- En effet ! je ne vous le fait pas dire !
Dans la pièce suivante, il me demande de coller mon œil au trou de la
serrure (« un ancien élève, très discret » me glisse-t-il dans le creux
de l'oreille) pour assister à la formation des élèves à la prison. Ou
plutôt : au trou, comme on dit par ici. Est-ce moi qui n'ai pas les yeux
en face des trous ? Toujours est-il que je ne vois rien du trou.
Puis nous filons à l'étage, vers la formation "corps humain". Trous de
nez, d'oreilles, bouches, souffles au cœur, yeux en trous de... Hem...
ainsi que d'autres orifices... Hem... que la moralité m'interdit ... Hem. .. de
citer dans ces pages... défilent devant nous dans une joyeuse
procession, où règne un bel esprit de corps.
À l'autre bout du
couloir se trouve la salle de poésie. Entre deux ateliers de trouées
dans les nuages qui s'exercent à laisser le soleil darder ses rayons, on
m'apprend que le Dormeur du Val de Rimbaud plaît beaucoup aux
étudiants. Son « trou de verdure où chante une rivière » ainsi que les
« deux trous rouges au côté droit » offrent en effet pas mal de
débouchés pour trous amateurs de rimes.
Dehors, par la fenêtre,
un groupe d'une vingtaine d'élèves s'égaille sur la pelouse de
l'établissement. « Déjà l'heure de la récréation ? » fais-je remarquer
en souriant. « Non », répond-il, « pas encore, c'est simplement le cours
de golf 18 trous qui se met en place ».
Le deuxième étage de
l'école est composé d'une unique salle de cours, un amphithéâtre bondé,
plein à craquer. Parvenant non sans mal à me faufiler par un trou de
souris, je constate qu'il ne reste plus un siège libre pour ce module
intitulé "géographie des espaces vides". « Et encore, on a refusé du
monde ! ». Je me dis qu'ils sont décidément très nombreux à vouloir
prétendre au titre de trou du cul du monde.
Montant encore d'un
étage, nous atteignons enfin les combles, dans lesquels sont remisées
d'anciennes formations qui n'attirent plus les élèves, car complètement
passées de modes. Dans un amoncellement poussiéreux s'entassent ainsi
pêle-mêle : les p'tits trous du poinçonneur des Lilas, les "trohus"
argotiques de Frédéric Dard qui ne s'emploient plus depuis longtemps, le
trou de la couche d'ozone qui ne sera bientôt plus qu'un lointain
souvenir...
Mais, j'y pense soudainement :
- Et les trous du gruyère, alors ?
- Finis, terminés, eux aussi : aujourd'hui, les gens ne veulent plus payer pour des trous, il faut les comprendre.
De retour dans son bureau, je lui demande s'il y a des élèves célèbres
qui sont sortis de son école que je serais susceptible de connaître. Je
vois son œil qui pétille : « Bien sûr : le fameux trou de la sécu, pour
commencer ! », s'enthousiasme-t-il. « C'était quelqu'un de très
in-trou-verti, personne ne s'attendait à ce qu'il devienne aussi
énorme ! ». Poursuit-il. « Mais également trou-pique-nique-douille, que
vous avez forcément rencontré dans la cour de récré à l'école
élémentaire. Ou encore le célèbre trou normand, qui a depuis longtemps
dépassé les frontières de la Normandie ».
Avant de partir, je
propose au directeur de rappeler les modalités d'inscription à son
école. Il me remet alors un simple formulaire papier, composé d'un texte
à trous à compléter. Et c'est tout.
Facile ! J'ai presque
envie de me laisser tenter par une formation. Après tout, j'ai moi-même
quelques trous dans mon CV, dont je ne sais trop ni comment ni par qui
ils ont été formés.
Il me montre alors le montant des frais
d'inscription. Mirobolant. Devant les zéros qui s'alignent, je me dis
que ça fera tout de même un sacré trou dans mon budget.
C'est un bon début.
Tout simplement genial
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