Jérusalem, d'Alan Moore

Si vous avez toujours voulu savoir pourquoi Northampton est le centre de l’Angleterre (et du monde), ce livre est fait pour vous. Si vous ne voulez pas savoir pourquoi Northampton est le centre de l’Angleterre (et du monde), ce livre est fait pour vous. Un roman à lire si vous avez un peu de temps devant vous (genre un confinement, par exemple. Oh bah ça alors, ça tombe bien). 

(Chronique écrite le 05 novembre 2020)

Jerusalem est un roman qui retrace la vie à travers les siècles de plusieurs habitants d’un quartier de Northampton appelé les Boroughs.

Il intègre ainsi le club très sélect des œuvres absurdes et surréalistes dont le titre n'a strictement rien à voir avec le contenu, tel L’Automne à Pékin de Boris Vian, Steak de Quentin Dupieux, ou Révolution d'Emmanuel Macron.

Jerusalem est un livre monumental, fantastique, gargantuesque, exigeant (merci de bien vouloir enclencher la procédure d'urgence et de me gifler violemment pour que je redescende sur terre).

Ses presque 1900 pages dans sa version poche chez Babel (poche, c’est vite dit. Il serait plus juste de parler, cochez la case correspondante: de version transpalette/35 tonnes/supertanker/avion-cargo) en font un objet bien pratique : On peut par exemple s’en servir comme marchepied pour faire les toiles d’araignées, pour caler une porte, pour réparer un mur dans sa maison de campagne, on peut aussi le jeter sur un CRS en manif, ou s’en servir pour cacher un objet précieux à l'intérieur (bijou, clé, gazinière, semi-remorque, abri de jardin).

Mais le mieux si vous voulez mon avis (et j'espère que c'est le cas, sinon il faut arrêter immédiatement de vous infliger ce billet), c’est encore de le lire, si on a quelques mois devant soi (Pourvu que le confinement s'éternise, pourvu que le confinement s'éternise).

Car ce roman est un véritable exploit: Près de 2000 pages de Jérusalem et pas un mot sur la Palestine, c’est pas très équitable !!!

Attention cependant : ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains. Hors de question de le mettre entre des mains non préparées. Nous vous recommandons d'insister fortement sur les échauffements des poignets et des doigts pour éviter le claquage dès les quinze premières pages.

En outre, avant d'y aller, mettez vous dans une position confortable. Pour ma part, j’ai l’habitude de lire le soir dans mon lit, mais je sais que ce n’est pas votre cas. Je veux dire : je sais que vous n’avez pas l’habitude de lire dans mon lit. Sinon je m’en souviendrais.

Sitôt la lecture démarrée, on y prend très vite goût. Moi par exemple, il m’a fallu à peine 300 pages pour vraiment rentrer dedans, soit moins d’1/6è du bouquin : une bagatelle.

Je vous invite également à le lire avec un plan de Northampton, et plus particulièrement des Boroughs. ça peut aider pour s'y retrouver.

Le titre, revenons-y, n'est en réalité pas totalement déconnecté de l’œuvre (je le confesse, j'ai menti au début du billet pour me moquer de Monsieur Macron et m'attirer la sympathie du lecteur). Il fait bien sûr référence à Jerusalem, poème de William Blake adapté sous forme d’hymne / chant patriotique anglais par Hubert Parry. Dans le livre, la version chantée de la série TV Shameless est évoquée, mais ma version préférée reste celle des Monty Python (on ne se refait pas) « And did those feet in ancient time… » dont vous trouverez une bien belle version dans le sketch ci-dessous (vers la fin, mais tout le sketch est merveilleux)  :

Mony Python Buying A Bed © Monty Python

Si à ce stade du billet vous n'êtes pas encore totalement convaincu (ce qui ne m'étonnerait qu'à moitié), je ne peux que vous recommander la lecture de cet article dont la qualité est nettement supérieure  : le labyrinthe halluciné d'Alan Moore

J'ajoute simplement que Jerusalem est un roman contenant de multiples dimensions. Le parallèle avec Flatland dont il est question à un moment dans le livre n'est pas anodin voire même pertinent.

En plus de nous raconter la vie des Boroughs et de ses habitants sur plusieurs époques, en variant les styles d'écriture selon les chapitres et en croisant les points de vues, l'auteur se permet d'inventer un monde fantastique où l'on croise des noms aussi évocateurs que : La jointure fantôme, le Destructeur, le troisième Borough, l’avènement du Portimoth Di Norhan et la résolution de l’Enquête Vernall, les Galutins, l'Ultracanal... Je n'en dis pas plus mais si ça ne vous fait pas rêver, je ne peux plus rien pour vous.

De nombreux personnages célèbres peuplent les chapitres, de Cromwell à Adam Smith en passant par John Clare, John Bunyan, Samuel Beckett, Thomas Becket, Lady Di, Charlie Chaplin, ou Lucia Joyce.

L'auteur Alan Moore est un personnage fascinant, sorte de barde moderne qui en impose avec sa canne, ses grosses baguouses, ses cheveux longs et sa barbe fournie. Scénariste de bandes dessinées, anarchiste et magicien, qui ne veut en aucun cas être associé avec les adaptations cinématographiques de ses œuvres (V pour Vendetta, Watchmen, From Hell, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires). Son portrait réalisé par Arte en 2017 ("Dans la tête d'Alan Moore") vaut son pesant de cacahuètes et place le personnage.

 

Alan Moore © Mitch Jenkins Alan Moore © Mitch Jenkins

Et puis la traduction brillante de Claro a dû nécessiter un travail monumental. Je vous recommande d’ailleurs fortement la lecture de son blog de traduction, qui est aussi passionnant que le roman.

 

Jerusalem - Alan Moore - 2017 - Éditions Inculte 

 

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